Texte de Christiane Laforge
lu à la présentation de Jacques Clément
au Gala de l'Ordre du Bleuet, le 6 juin 2015
Né à Tours, classée Ville d’art et d’histoire, le 18 janvier 1944, Jacques Clément s’éveille très tôt à la musique. Serait-ce le friselis dans les arbres qui passionne son père arboriculteur et le clapotis des eaux de La Loire qui titille son oreille? La certitude de son parcours est qu’il n’a jamais perdu le do de sa clarinette. Cet amoureux de cinéma, de littérature, de peinture et de la nature succombe à la séduction du Messie de Haendel. Toute sa vie va être dédiée à la musique. Même lorsqu’il troquera son grand fleuve européen contre le chant des marées du fjord saguenéen.
Lauréat du 1er prix clarinette du Concours national Léopold Bellan de Paris à 17 ans, il amorce sa carrière en concrétisant ce rêve d’enfant, enseigner et aider. C’est justement ce double objectif qui, en 1971, convainc le professeur de musique, de passage au Québec dans un échange culturel avec un confrère montréalais, de rester. En France, les institutions sont déjà bien ancrées. Ici, tout commence, constate-t-il, voyant nos gouvernements investir pour assurer un rayonnement musical dans tous les milieux.
Il profite de la proximité géographique des États-Unis pour étudier la direction d’orchestre auprès de la Fondation Pierre-Monteux, dans le Maine. Formation qu’il parfait à l'Académie internationale d'été de Nice et plus tard au Conservatoire de musique de Montréal où il remporte le Premier prix de direction d'orchestre; récompense qui n'avait jamais été accordée auparavant dans un conservatoire de musique du Québec. En 1976, il dirige les orchestres des jeunes de Montréal et de Sherbrooke, ces musiciens pour lesquels il contribue à la fondation de l'Association des orchestres des jeunes du Québec, dont il est conseiller musical. Chef invité de l’Orchestre de chambre de Radio-Canada pendant dix ans, les routes du Québec sont la portée de sa fonction de chef de cinq formations à Montréal, Trois-Rivières, Sherbrooke et au Saguenay–Lac-Saint-Jean, auxquels s’ajoute la direction artistique du Camp musical de Métabetchouan pendant quatre ans.
Apprivoisé par la région saguenéenne qu’il fréquente depuis 1979, le chef Clément n’hésite pas à poser ses valises quand on lui propose la direction du Conservatoire de musique de Chicoutimi. Juste à temps pour superviser son déménagement dans l’ancien Palais de justice de la rue Jacques-Cartier. Ce ne sera pas le seul dossier majeur de son règne. 1986, c’est aussi le début des démarches menant à la création du réputé Quatuor Alcan en 1990. Indéniablement un des plus beaux fleurons de l’Orchestre symphonique qui a aussi engendré l'Orchestre des Jeunes, l'orchestre de Chambre et le Chœur symphonique.
Coiffant le double chapeau de directeur de conservatoire et d’orchestre jusqu’en 2008, M. Clément participe à l’établissement des programmes préprofessionnels et Arts-études. Il veille à la formation des étudiants, supervise le travail des professeurs dont il renverse le ratio de résidence stable en région. Dans le documentaire Classes de maîtres réalisé par Luc Bourdon pour Télé-Québec, il confie : «Quand je suis arrivé ici, 80 % des professeurs habitaient à l'extérieur de la région. Tout le travail des 20-22 dernières années a créé une vie professionnelle dans la région, donc des gens qui s'y installent, qui y vivent.»
Dans la vision de Jacques Clément, la qualité de l’enseignement aux jeunes, la qualité d’emplois des enseignants, la viabilité d’un orchestre symphonique forment un tout stratégique dont la population est partie intégrante. Il cherche et trouve comment rejoindre tous les publics, attirant jusqu’à 9 500 mélomanes pour une saison de concert dans les années fastes, une progression de 40 %. Il orchestre des spectacles musicaux spécifiquement conçus pour les jeunes, dont l’Orchestr’à contes tout en ouvrant les partitions pour grand public avec des expériences heureuses telles Poèmes et symphonie avec Albert Miller, Cinémaphonique, L’orchestre en jazz dans le cadre du Festival Jazz et Blues, l’Orch’estival, la Musi-Fête, ou l’évènement pédagogique Faites de la musique. Voulant faire connaître les compositeurs contemporains d’ici, il a incité auteurs et compositeurs à créer des contes de Noël. Plusieurs fois, il sera le premier à mettre sa baguette au service d’œuvres canadiennes. Pensons à André Mathieu avec Alain Lefèvre ou à la Symphonie pour Arthur, œuvre musicale de Jean-Pierre Bouchard en hommage au peintre Arthur Villeneuve, créée en 2010, au bassin de la rivière Chicoutimi.
Prompt à monter au créneau quand il s’agit de défendre la musique, il dénonce le retrait de l’enseignement musical dans les écoles primaires et secondaires. Il ressent comme un deuil l’abandon du baccalauréat en musique à l’Université du Québec à Chicoutimi. Il redoute d’autres assauts mettant en péril l’existence des diverses formations musicales. « La force de présence de l'Orchestre symphonique est déterminante pour le maintien des classes avancées au Saguenay–Lac-Saint-Jean », insiste-t-il. Plus de 2 000 élèves ont étudié au conservatoire de Chicoutimi. Beaucoup poursuivent une carrière professionnelle en musique : ils enseignent, ils sont membres d'orchestres et d’ensembles réputés au Canada, en Europe, aux États-Unis et en Chine. Plusieurs se distinguent sur les grandes scènes du monde.
Réputé au-delà de nos frontières, le chef Clément est lui-même sollicité à l'étranger par des sociétés de concerts comme l'Orchestre de chambre de l'Institut des Beaux-Arts de Mexico et la Sinfonietta de Paris. Il siège à de nombreux jurys, dont celui du concours de l'Orchestre symphonique de Montréal et des concours de musique du Québec. Le Conseil des Arts de l'Ontario l’a requis pour participer à l'évaluation de leurs vingt-neuf orchestres symphoniques professionnels. En 2009, en mémoire de son engagement indéfectible au cours de ses 22 ans à la direction de l’institution, le Conservatoire nommait sa salle de concert salle Jacques-Clément. Le 26 avril 2014, le Conseil des arts de Saguenay lui décernait le prix Jean-Guy-Barbeau pour son apport exceptionnel à la musique. En 2016, quand sera jouée la dernière note du dernier concert de la saison, le chef déposera sa baguette pour une retraite dont les accords demeurent inconnus.
Aujourd’hui, à ce musicien venu de France, nous disons merci d’être resté. Désormais, vous êtes des nôtres.
Le 6 juin 2015
Jacques Clément
Chef de l’Orchestre symphonique du Saquenay-Lac-Saint-Jean
Pour sa contribution exceptionnelle
à l’enseignement et à la diffusion de la musique
fut reçu membre de l’Ordre du Bleuet
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